La coopérative de voleurs Agropur ferme son usine à Lachute

La fermeture de l’usine Agropur à Lachute est un nouvel exemple de la destruction inutile des usines et des forces productives par les capitalistes. Cet événement annoncé permet aussi d’analyser les dynamiques complexes et facilement trompeuses de l’industrie laitière et agroalimentaire au Québec et au Canada. En effet, Agropur, qui est une coopérative laitière, est souvent dépeinte comme un modèle alternatif et progressiste de coopération économique. Il n’en est rien. En réalité, malgré son vernis, il s’agit d’une entreprise capitaliste qui est soumise aux mêmes lois économiques du profit que toutes les autres. Pour le comprendre, il suffit de brosser le tableau du vaste monopole que détient Agropur dans la production et la transformation du lait ainsi que de regarder comment cette vaste concentration de capital entre inévitablement en contradiction avec les intérêts des ouvriers des laiteries et des différentes usines de produits laitiers.

Agropur achète Scotsburn et se débarrasse de son usine de Lachute après en avoir siphonné les derniers profits

Au début du mois d’octobre 2019, la direction de l’usine Agropur à Lachute a annoncé à ses 177 employés que l’usine de crème glacée vieille de quelques décennies allait fermer. La nouvelle était inattendue pour les ouvriers qui devront se trouver un nouvel emploi d’ici le mois d’août 2020. À ce moment, la production sera complètement déplacée à Truro en Nouvelle-Écosse ainsi qu’à Edmonton en Alberta. La fermeture de l’usine est d’autant plus une surprise qu’elle venait d’être achetée, en 2017, à l’entreprise Scotsburn. C’est donc un coup dur pour la population locale qu’on chiffre à 13 000 habitants. Cette grande usine située sur la rue Principale est l’un des plus importants centres d’activité économique de Lachute, une des villes les plus pauvres au pays depuis longtemps. En effet, en 2017, Lachute était classée comme la 2e ville la plus pauvre au Canada avec 24,3% des ménages y vivant considérés comme étant à faible revenu (22 133$ pour une personne seule, 44 266$ pour une famille avec deux enfants). La fermeture de l’usine aura sans aucun doute un impact significativement négatif et douloureux pour la classe ouvrière locale.

La vérité, c’est que Agropur n’a probablement jamais eu l’intention, et ce, dès l’achat, de faire fonctionner l’usine durablement. Agropur a acheté l’ensemble de la compagnie Scostburn en 2017 et non pas seulement l’usine de Lachute. La fermeture de cette dernière obéit à un modèle courant du processus de monopolisation d’une industrie : lorsque des entreprises capitalistes achètent des concurrents, il n’est pas rare qu’elles ferment des usines, soit immédiatement, soit après un certain temps, lorsqu’il devient avantageux de réorganiser la production. Un tel délai a pour objectif de réaliser tous les profits et de faire tous les gains encore possibles avant qu’il ne faille injecter plus de capitaux dans l’équipement et dans l’entretien des machines pour pérenniser les usine décrépies. Ensuite, l’entreprise procède à la fermeture de ces usines en fin de cycle et envoie la production se faire ailleurs ou autrement, comme dans le cas qui nous intéresse.

D’ailleurs, cet automne, Agropur ne s’en est pas caché. « L’usine de Lachute aurait nécessité des investissements importants pour continuer à fonctionner », a affirmé Véronique Boileau, porte-parole de l’entreprise. Il n’en reste pas moins que dès l’achat de Scotsburn, Agropur connaissait l’état de désuétude de l’usine de Lachute et avait déjà l’intention de la fermer aussitôt qu’il ne serait plus rentable de la maintenir en opération. En contrepartie, l’achat de Scotsburn permettait à Agropur de mettre la main sur les parts de marché d’un concurrent. À ce propos, une prolétaire de Lachute fait le constat suivant avec lucidité : « Ils s’en foutent du monde d’ici. Tout ce qu’ils voulaient, c’est de prendre la place que leur volait Scotsburn dans les rayons d’épicerie. Même dans la situation où l’usine aurait été au bord de la faillite, ça serait resté plus rentable pour eux. »

En 2018, nous avons assisté sensiblement au même scénario lorsque Agropur a annoncé la fermeture de sa fromagerie de Saint-Damase en Montérégie devant la nécessité de « réorganiser ses investissements faute de pouvoir la rendre rentable sans y injecter des capitaux supplémentaires ». À peine quelques années plus tôt, en 2013, Agropur avait acheté la compagnie Damasco à qui appartenait l’usine de transformation de lait en fromage fin. Ce sont donc 110 employés qui ont perdu leur travail.

Agropur : une vaste coopérative de capitalistes

La manœuvre à laquelle nous assistons à Lachute n’a donc rien de nouveau et surtout, elle nous rappelle que Agropur n’est qu’un vaste empire capitaliste. Notons au passage qu’en 2018, on comptait 10 593 producteurs laitiers au Canada possédant au moins un permis de production. De ce nombre, on en retrouvait 5 120 au Québec, 3 534 en Ontario, et 1 939 autres dispersés dans le reste du pays. Des 5 120 au Québec, (la province où l’on recense le plus grand nombre de permis de production laitière par producteur au pays soit dit en passant), 3 161 producteurs sont membres d’Agropur, soit 62%, ce qui nous donne une bonne idée de la taille de ce géant canadien de l’industrie de transformation laitière.

La forme d’organisation économique de la coopérative capitaliste est une forme particulière du processus de centralisation et de concentration du capital. Il s’agit d’un modèle légèrement différent de la société par actions classique. Les membres ont tous un vote individuel, contrairement au poids électoral proportionnel aux actions possédées dans les sociétés par actions. Un conseil d’administration assumant la direction et prenant les décisions exécutives est tout de même mis en place, comme c’est le cas dans les autres entreprises capitalistes, et les membres reçoivent une ristourne proportionnelle à leur production et en fonction de l’excédent accumulé par la coopérative. Bref, les différences sont négligeables.

Agropur a été fondé en 1938 par des agriculteurs de Granby sous la forme d’une société agricole. La transformation du lait a débuté avec le beurre à partir de 1941. Au cours des années, plusieurs cultivateurs s’y sont joints. Des achats importants (comme celui du fromage OKA), la création de Natrel et la guerre économique contre Saputo ont marqué la deuxième partie du 20e siècle dans l’histoire de cette entreprise. Agropur a acquis de nombreuses laiteries (usines de transformation du lait et de fabrication de produits laitiers). Aujourd’hui, Agropur transforme plus de 6,2 milliards de litres de lait par année dans ses 39 usines en Amérique du Nord, et possède une large gamme de marques et de produits dont Natrel, OKA, iögo, biPro, Agropur Grand Cheddar, Olympic, Farmers, Island Farms et Québon. Agropur a un équivalent dans le secteur agroalimentaire de la volaille et du bétail : la Coop fédérée, un autre immense empire capitaliste issu de l’agriculture industrielle.

Agropur face à la concurrence internationale : la gestion de l’offre et les subventions du gouvernement

La fermeture de l’usine de Lachute s’inscrit dans ce que la direction d’Agropur appelle « un contexte d’optimisation » de son secteur de la crème glacée. Agropur « doit déployer tous les efforts nécessaires dans un marché des plus concurrentiels ». La concurrence internationale pèse lourd dans la balance. Il faut savoir que Agropur réalise environ 46% de son chiffre d’affaires aux États-Unis. Le développement et la croissance d’Agropur sur le territoire américain se sont faits, entre autres, par des acquisitions substantielles dont celle de Davisco Foods International en 2014, entreprise spécialisée dans la fabrication de fromage et d’ingrédients laitiers. En 2018, l’excédent net (profit) d’Agropur est tombé de 61%, principalement en raison des bas prix du fromage et d’autres ingrédients aux États-Unis, ce qui a grandement miné sa rentabilité. La question de la gestion de l’offre a d’ailleurs été au centre des questionnements d’Agropur dans les deux dernières années. Cette question a d’ailleurs été mise de l’avant à répétition dans les médias lors de la renégociation de l’ALENA.

Rappelons que la gestion de l’offre a été créée en 1972 afin d’encadrer l’industrie laitière, avicole et ovocole (volailles et oeufs). Des organismes provinciaux, soit les offices de commercialisation, gèrent son application. Elle consiste en 1) la mise en place de quotas (des permis de production) limités et distribués aux producteurs, ces quotas devant être respectés sous peine d’amende; 2) l’établissement et le contrôle des prix de vente aux transformateurs et aux consommateurs; 3) le contrôle des importations avec des mesures protectionnistes taxant de manière draconienne les marchandises en provenance d’un pays donné lorsque celui-ci dépasse le seuil permis.

Agropur a été on ne peut plus clair quant à sa position sur la gestion de l’offre : « Agropur demande au gouvernement fédéral de demeurer ferme dans sa défense de la gestion de l’offre et du secteur laitier canadien. [] La gestion de l’offre n’ayant jamais été un frein au développement de la transformation laitière, Agropur réitère son appui envers ce système qui fonctionne bien pour le Canada et qui répond aux réalités du marché, ainsi qu’aux besoins des consommateurs. [] C’est pourquoi, dans un marché mondial en consolidation, notre engagement envers le système de gestion de l’offre est indéfectible. Tous les pays soutiennent leur industrie laitière. Dans la plupart des cas, il s’agit d’importantes subventions directes. Dans d’autres cas, le soutien se traduit par un contrôle concentré dans les mains d’un grand joueur. »

Force est de constater que les mots d’Agropur laissent peu de place à l’interprétation. La gestion de l’offre est une réponse canadienne au problème général de la concurrence internationale. Elle lui a été bénéfique face à la menace des monopoles étrangers. D’autres pays, comme par exemple les États-Unis, donnent allégrement des subventions directes aux producteurs. Il n’en reste pas moins que Agropur, en tant que transformateur, a reçu récemment plus de 57,4 millions de dollars (soit 11,3 millions de subventions et 46 millions de prêts sans intérêts) en aide financière de la part du gouvernement du Québec pour que l’entreprise puisse moderniser ses installations. De cet argent, rien n’ira dans la modernisation de l’usine de Lachute, et encore moins que rien ne se retrouvera dans les poches des ouvriers de cette usine dont la mort a été annoncée. Les communistes se doivent d’être présents, d’agiter et de lutter avec la classe ouvrière des villes comme celle de Lachute où l’exploitation et la destruction capitalistes se font sentir tout particulièrement.

Agropur est un vaste empire capitaliste en lutte ouverte contre les ouvriers de ses laiteries et de ses usines de transformation de lait!

Combattons avec les ouvriers de Lachute et de toutes les villes semblables pour en faire des poches de résistance à l’exploitation capitaliste!